La suppression de la quasi-totalité des tarifs douaniers sur dix ans et l’engagement du Vietnam à respecter un ensemble de normes sociales et environnementales : tel est le résultat de huit années de négociation entre l’Union européenne et le pays d’Asie connu pour ses rizières, ses chapeaux coniques et sa gestion exemplaire du Covid-19. Signé conjointement à l’accord de protection des investissements (EVIPA), l’accord de libre-échange a été ratifié par 63 % des voix au Parlement européen le 12 février 2020, puis par 100 % des suffrages à l’Assemblée nationale du Vietnam le 8 juin 2020. Décrié par certains, ce traité historique ouvre de nouvelles perspectives commerciales, industrielles et diplomatiques entre les deux parties. À cette occasion, la Chambre de Commerce et d’Industrie France-Vietnam (CCIFV) avait organisé le mercredi 17 juin une table ronde suivie d’un dîner au Sofitel Saigon Plaza, en présence d’acteurs stratégiques de la diplomatie et du commerce.
Un accord prometteur durement négocié
Dans un contexte post-coronavirus sur le territoire vietnamien et post-apocalyptique pour l’économie mondiale, l’EVFTA arrive à point nommé et offre son lot de promesses, notamment celle de supprimer progressivement 99 % des droits de douane entre l’UE et le Vietnam au cours des dix prochaines années. Dès le mois d’août 2020, 71 % des droits sur les exportations du Vietnam vers l’UE et 65 % des droits sur les exportations de l’UE vers le Vietnam disparaîtront. L’allègement des tarifs douaniers restants se fera par tranches annuelles en fonction des catégories de produits.
Nicolas Warnery, ambassadeur de France au Vietnam, n’a pas caché ses inquiétudes passées de ne jamais voir aboutir cet accord. Il a salué le travail de longue haleine fourni par les représentants de la Chambre de commerce européenne au Vietnam (EuroCham). Au cœur des négociations entamées officiellement en juin 2012, son vice-président Jean-Jacques Bouflet confirme les nombreux obstacles surmontés pour parvenir à la ratification du traité. « Ce qui est nouveau, c’est qu’au Parlement européen, le fond de l’air est devenu protectionniste : il y a des partis comme Les Verts, qui avant étaient favorables à l’aide aux pays en développement, et qui maintenant disent : » ça n’a pas de sens de faire venir des marchandises de l’autre bout de la Terre à cause de l’empreinte carbone. » » Après Singapour, le Vietnam est le deuxième pays d’Asie du Sud-Est à signer un accord de libre-échange avec la coalition des 27.
Évoquant avec enthousiasme les échanges « passionnants » qu’il a eus avec les parlementaires européens, Nicolas Audier, président de l’EuroCham, se montre optimiste par rapport aux bénéfices de l’EVFTA : « Je pense que cet accord est une chance, parce qu’il n’est pas seulement commercial, mais aussi politique. On a ancré le Vietnam dans le sillage européen et ça c’est magnifique ! L’EVFTA ne consiste pas uniquement à vendre plus de pantalons en Europe. Il y a tout le côté non commercial qui est très important : les droits de l’homme, le droit social, l’environnement. » En effet, l’accord de libre-échange explicite un ensemble de normes pour le Vietnam en matière de préservation de l’environnement, de protection des droits des travailleurs, de respect des droits à la propriété intellectuelle et de libéralisation de l’accès aux marchés publics. Par la diversité de ses clauses, l’EVFTA a le potentiel de réconcilier les partisans du libre-échange, de l’environnement et des droits de l’homme.
Controverses et défis d’un traité ambitieux
Parmi les nombreux effets positifs attendus de l’EVFTA, la hausse de la compétitivité des entreprises vietnamiennes et européennes à l’exportation arrive en tête de liste. Selon une estimation de la Banque mondiale, cet accord de libre-échange serait susceptible d’accroître les exportations du Vietnam de 12 % d’ici 2030 (source : Le Courrier du Vietnam). Les puissantes industries textiles et agroalimentaires vietnamiennes devraient être les premiers bénéficiaires de la suppression des tarifs douaniers. Mais qu’en est-il des avantages pour les pays de l’Union européenne ?
En effet, les détracteurs de l’EVFTA dénoncent l’asymétrie de cet accord, qui profiterait davantage au Vietnam qu’à l’Union européenne : chaque année, le Vietnam exporte à hauteur de 40 milliards d’euros vers l’UE contre 10 milliards en sens inverse. Le négociateur Jean-Jacques Bouflet n’est pas aussi catégorique. « En réalité, il n’y a pas d’antagonisme commercial avec le Vietnam : pour des raisons de niveau de développement, ce qu’ils produisent, nous ne le produisons plus et ce que nous produisons, ils ne le produisent pas encore. Donc il y a une réelle complémentarité ! » En outre, certains arguent que l’Union européenne ne fait que combler son retard vis-à-vis des nombreux pays ayant déjà passé des accords commerciaux avec le Vietnam. À cela, les pro-EVFTA rétorquent un « mieux vaut tard que jamais » et rappellent l’ensemble des mesures non commerciales du traité.
Lors de la séance de questions-réponses qui a suivi la table ronde, la communauté d’affaires française au Vietnam a évoqué d’autres limites à cet accord, en particulier le niveau élevé des taxes annexes aux tarifs douaniers, dont ils craignent l’augmentation. Comme l’a souligné Thibaut Giroux, président de la CCIFV, le véritable défi de cet accord complexe de 1 400 pages repose dans sa mise en application. Une commission de contrôle européo-vietnamienne est prévue à cet effet. De son côté, l’EuroCham remontera les informations du terrain transmises par ses 200 membres au Vietnam, tous secteurs d’activité confondus. Enfin, la CCIFV prévoit quant à elle la mise en place d’un service dédié pour répondre aux questions des entreprises et investisseurs concernés.
En cette période de turbulences économiques au niveau mondial, l’allègement drastique des tarifs douaniers et les engagements sociaux et environnementaux de l’EVFTA ont le potentiel de révolutionner et de booster les relations entre l’UE et le Vietnam. « Notre ambition avec l’EVFTA, c’était de créer un accord de long terme qui permettra d’ancrer l’Europe au Vietnam », conclut le négociateur Jean-Jacques Bouflet. Alors, qui de l’optimiste ou du sceptique aura raison ? Réponse dans la décennie à venir…