Adrien et moi nous retrouvons à 7h30 du matin dans un charmant petit café du district 3 d’Hô Chi Minh-Ville. Attablé autour d’un café glacé servi par une gérante antipathique, Adrien m’explique en termes simples les bases de la photographie. Il démystifie tout un jargon qui jusqu’à ce jour s’était fracassé sur mes oreilles comme une langue inconnue, notamment l’équilibre à trouver entre vitesse, ouverture et ISO. C’est l’illumination pour le photographe novice que je suis.
Nous commençons l’expédition photographique en nous engouffrant dans un dédale de ruelles semi-ombragées des environs. Les têtes se dressent et se retournent sur notre passage, tantôt agrémentées d’un sourire, tantôt d’une paire d’yeux écarquillés. Les « Hello ! » fusent autour de nous. Nous ne sommes pas des stars, seulement les seuls étrangers du quartier.
Quelques Vietnamiens discutent paisiblement autour d’une table. J’hésite à les photographier. « Le Vietnam est un super terrain de jeu pour la photo de rue. J’aime prendre les photos « en fugitif », pour davantage de spontanéité. Quand quelqu’un voit que je l’ai pris en photo, je lui montre son portrait et, généralement, ça lui fait plaisir. » Suivant son propre conseil, Adrien photographie les visages hilares de la bande de cinquantenaires attablés et leur montre les clichés. Les modèles semblent fiers de se voir ainsi immortalisés et éclatent de rire.
Pour varier les points de vue, Adrien m’emmène aux étages supérieurs d’un immeuble modeste. Et c’est là que, par magie, et surtout par chance, une femme en plein mouvement devancée par son ombre se fige gracieusement dans le cadre formé par une devanture, une vieille moto et quelques câbles électriques.
Habitué à prendre des photos avec le mode automatique de mon téléphone portable, je jongle maladroitement entre les paramètres de l’appareil que l’on m’a prêté pour l’occasion, un modèle Fujifilm hybride. Je retrouve les mêmes sensations que lorsque j’appris à conduire : au début, on se concentre séparément sur le volant, sur la pédale d’embrayage, sur le levier de vitesse et sur les rétroviseurs, sans comprendre comment il est possible de manipuler simultanément tous ces éléments. Puis, petit à petit, oubliant la technique, on focalise son attention sur la trajectoire, ou, en photographie, sur la composition.
Après un passage éclair par le marché aux fleurs, faiblement animé à cette heure de la journée, nous nous rendons dans le quartier chinois. Il fait chaud, si chaud que j’ai l’impression de fondre sur place comme une bougie allumée au chalumeau. Nous nous faufilons entre les étals surchargés, déclenchons quelques rafales au passage et montons une fois de plus dans les escaliers extérieurs des bâtiments pour tester de nouveaux points de vue.
A la vaste palette de couleurs vives des légumes succède bientôt le rouge et doré binaire des temples bouddhistes voisins. Je me sens gêné de paparazzer les quelques fidèles en prière au milieu de ces édifices silencieux et vides. Et si le cliquetis de l’appareil photo interrompait leur communication avec les esprits de l’au-delà ? Je tente tout de même quelques photos lointaines des visages recueillis, enfumés d’un encens qui titille mes narines.
A une centaine de mètres de ce lieu sacré, nous croisons une foule d’enfants en uniforme s’échappant des grilles de l’école pour aller déjeuner. Nous en photographions quelques-uns sur le mur jaune défraîchi, avant de nous réfugier sous un porche abrité du soleil. La matinée s’achevant, j’appuie compulsivement sur le bouton « Supprimer » afin de trier la cinquantaine de photos prises au cours de la matinée. J’en conserve quatre : celles illustrant cet article.
Auteur de nombreux reportages photographiques publiés dans la presse locale et internationale, Adrien Jean utilise l’art de la photographie comme prétexte pour découvrir les coins cachés du Vietnam et pour se lier, le temps d’un cliché, avec ses habitants.
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