Au printemps 2014, Meigo vivote de ses compositions musicales et habite dans une maison en bois en pleine forêt estonienne. Passionné de sport et de voyages, il se met à dévorer les récits d’aventuriers contemporains. « J’ai lu les histoires de gens qui avaient marché pendant des dizaines de milliers de kilomètres. Quelque chose s’est passé en moi. Cette idée de marcher de très longues distances est devenue une obsession et un rêve. » L’Estonien de 24 ans prend la décision soudaine de partir marcher entre dix et quinze ans. Deux semaines plus tard, il quitte son pays natal et commence son périple vers l’Asie avec huit euros en poche.
Un voyageur qui flirte avec les extrêmes
Les jambes étant l’unique moyen de locomotion de Meigo, il n’hésite pas à les ménager. « Je ne cherchais pas à battre de record de vitesse. Je marchais très doucement, généralement entre 25 et 35 kilomètres par jour. Je prenais de nombreux jours de repos pour vivre avec les locaux, pour comprendre leur culture et pour garder une bonne forme physique. »
Peu après son départ, Meigo est interviewé par un journaliste estonien. Mis en lumière par la publication de l’article, son pari fou suscite l’admiration de ses compatriotes. De nombreux Estoniens lui écrivent pour l’encourager. Certains lui suggèrent de créer un blog, d’autres souhaitent participer financièrement à son aventure. Aidé des revenus de la location de sa maison, des sponsors de son nouveau blog, de donations et de l’hospitalité des locaux, Meigo poursuit son lent voyage à travers l’Europe de l’Est et s’engouffre progressivement en Asie.
Le marcheur affronte une nature contrastée et parfois hostile. En l’espace de quelques semaines, il traverse les montages enneigées du sud de la Turquie par -17°C, puis le désert iranien sous +42°C. Il dort tantôt dans sa tente, tantôt chez l’habitant. « J’ai été hébergé dans toutes sortes d’endroits : de la petite hutte en bambou au Népal à la maison d’un multimillionnaire à Singapour, en passant par un monastère bouddhiste aux pieds de l’Himalaya. » Le poids de son sac à dos, quant à lui, varie de 7 à 26 kilogrammes en fonction du climat et de l’isolement du lieu dans lequel il se trouve.
Fin 2016, après avoir bravé la jungle laotienne, Meigo entre au Vietnam par le centre du pays et remonte les 700 kilomètres qui le séparent d’Hanoï. Il est immédiatement séduit par le sens de l’hospitalité des locaux. « Plein de gens essayaient de m’arrêter pour que je boive du thé avec eux », commente-t-il en riant.
De la vie d’aventure à la vie de famille
Meigo fait une longue halte à Hanoï, le temps d’obtenir un visa pour la Chine. Un soir, lors d’une fête organisée dans une chambre d’hôte, il rencontre Sâm, une jeune vietnamienne qui rêve de parcourir le monde. Elle évoque l’idée de faire un bout de chemin ensemble. « Ces longues marches sont très éprouvantes physiquement et émotionnellement », la prévient-il. Sâm ne se laisse pas décourager : elle a déjà couru une quinzaine de marathons. Pour se maintenir en forme, Meigo se joint aux footings quotidiens de Sâm. Au fur et à mesure des jours, une complicité amoureuse se noue entre les deux sportifs.
L’Estonien n’en oublie pas pour autant son défi ambitieux. Se voyant refuser le visa chinois, il quitte Sâm à regret et marche pendant trois mois et trois semaines vers Saigon. Il est contacté peu avant son arrivée par un Vietnamien ayant entendu parler de son histoire aux informations locales. Ce dernier réunit treize personnes qui marchent avec Meigo pendant les cinq derniers jours jusque Saigon. « J’avais l’habitude de marcher et de vivre seul. C’était génial d’être accompagné ! En traversant sentiers et villages, les Vietnamiens découvraient leur propre pays d’une manière totalement différente. Ils étaient très motivés, malgré la fatigue et les courbatures. »
Meigo poursuit sa route à travers l’Asie du Sud-Est mais sa santé se dégrade brutalement en Indonésie. Le port d’un sac à dos pendant quatre ans et quatre mois a endommagé ses nerfs dorsaux et l’afflux de sang vers son cœur. Sâm vient aussitôt lui rendre visite à l’hôpital. C’est la dixième fois qu’elle rejoint Meigo depuis son départ de Hanoi. La dévotion de Sâm ne laisse pas indifférent l’Estonien aux yeux bleus. Il accepte d’interrompre son voyage au terme d’une marche de 20 000 kilomètres et s’installe chez elle à Hanoï. Quelques mois plus tard, Sâm et Meigo se marient puis donnent naissance à une fille, Maria Mai.
Lorsque Meigo repense à son voyage, il se souvient avant tout de la gentillesse des personnes qu’il a rencontrées. « La plupart des gens dans le monde veulent aider, malgré ce que l’on voit dans les news. » Le père de famille, désormais âgé de 30 ans, habite dans un village au sud de Hanoï avec sa femme et sa fille. En dépit de ses nouvelles responsabilités, l’ex-aventurier n’a pas renoncé à son rêve de parcourir la seconde moitié des 40 075 kilomètres. Il prévoit de se rendre en Indonésie en août 2020 afin de reprendre sa marche exactement là où il s’était arrêté deux ans auparavant. Cette fois, Meigo voyagera avec sa femme et sa fille, qui le suivront en camping-car et à moto à travers l’Asie, l’Océanie, les Amériques, l’Afrique et l’Europe – un projet familial qui prendra la bagatelle de six ou sept ans selon ses propres estimations.
Vous pouvez suivre les aventures (en anglais) de Meigo sur sa chaîne Youtube.